Par Ismael 
Après, entre autres, « Au pays de Tararani », « Les deux larrons en folie », « Les zazous de la vague », « Halfaouine, l’enfant des terrasses », « Un été à La Goulette », « La villa », « La télé arrive », ou des courts métrages comme « Le festin », « Visa » (du même Letaief), et même des films d’école comme « L’œuf » ou « Daly Planet », voici en sortie commerciale la dernière comédie tunisienne en date : « Cinecitta », production qui se veut « comédie populaire en hommage au cinéma ».
Pour ce faire, parti-pris a été celui d’utiliser un comique spécifique et particulier : le burlesque. Depuis le début du film et les trois amis courant hors de la banque qu’ils viennent de cambrioler pour réaliser leur film, des collants sur la tête, un gros sac d’argent sous le bras et se jetant dans une minuscule voiture qui roule à 10 à l’heure, jusqu’à la fin où le méchant est neutralisé par une casserole contenant une recette sénégalaise à base de poulet, tout indique cette affiliation à ce courant de l’humour au cinéma « caractérisé par un comique extravagant, plus ou moins absurde » (selon le Larousse). Or n’est pas Charlie Chaplin, Buster Keaton, Jaques Tati, ou même Elia Suleiman, qui veut, et le ridicule inhérent au burlesque dans ce qu’il met en scène, est malheureusement dans « Cinecitta » celui de la mise-en-scène elle-même. Ainsi, Letaief ne réussit à être ni dans le rythme effréné du burlesque classique comme chez les Marx Brothers, ni dans l’extatisme du burlesque moderne de Tati par exemple. Il est dans la lourdeur narrative et la platitude du discours cinématographique de la veine la moins réussie des films tunisiens ; tout comme l’interprétation plus qu’approximative de l’écrasante majorité du casting ne réussit même pas à être caricaturale. Les deux seuls qui tirent leur épingle du jeu sont Mohamed Ali Nahdi qui compose un personnage déluré, composite, en cabotinant joyeusement, et Jamel Sassi dans une caricature de l’ancien ministre de la Culture. « Cinécitta » se voulant « hommage au cinéma italien » principalement, est truffé de citations directes de plusieurs films. Citations directes qui consistent en un re-filmage de plans tirés de ces films comme celui du baiser dans la fontaine de « La dolce vita ». Citations directes encore plus alourdies car elles sont presque systématiquement signalés à l’intérieur même du film à travers la bouche même des personnages ou à travers nombreux procédés : noir et blanc, musique, etc. Mis à part les références directes au cinéma italien, nous voyons dans « Cinécitta » deux autres références à l’Italie, l’une sociale et l’autre culinaire : une grosse « Mamma » presque idiote qui bien-sûr parle comme on crie et des Spaghettis Bolognaises. Rien d’autre. C’est cette manière-là d’appréhender le monde et de rendre hommage au cinéma qu’adopte Ibrahim Letaief dans « Cinecitta » : par le petit bout de la lorgnette des signes d’appartenances ostentatoires, par un humour au ras des pâquerettes du cliché le plus éculé.
« Cinecitta » est travaillé par un mouvement paradoxal. D’une part cette énonciation directe et d’autre part une forme de rétention qui empêche les situations et les scènes d’aller jusqu’au bout de leur bouffonnerie. Les trouvailles, la drôlerie, existent, mais elles butent impérativement sur une impasse filmique et ne se déploient pas pleinement dans un rythme, un montage, en un mot : dans un univers de cinéma. La caméra par exemple effectue dans de nombreuses scènes un va et vient incessant d’un personnage à un autre, comme si elle était à la recherche ou dans l’expectative d’une étincelle de magie ou d’une once d’alchimie qui n’arrivent malheureusement pas. Parallèlement à ces va et vient à l’intérieur des scènes, plusieurs séquences commencent par des panoramiques sur la ville. Panoramiques alternativement de gauche à droite, puis de droite à gauche, et ainsi de suite. Comme si la caméra revenait sur ces pas, comme si elle faisait les 100 pas ne sachant quoi filmer au juste. Le ridicule devient alors grotesque.
Nous sommes très loin dans « Cinecitta » d’un film comme « What a wonderfull world » du marocain Faouzi Bensaidi, distribué l’année dernière dans une salle de la capitale, dans lequel une forme singulière de burlesque se meut dans un univers à la fois fortement cinématographique et fortement contemporain. Nous sommes loin aussi d’un cinéma populaire intelligent et de qualité, nous avons affaire à une production qui n’a de populaire que le populisme et la démagogie d’autant plus graves qu’ils sont édifiés dans un déni, un rejet et un mépris absolus de toute pensée ou forme cinématographique. Le premier long-métrage d’Ibrahim Letaief appartient donc à « une certaine tendance » des films tunisiens ces dernières années : la représentation télévisuelle, lisse et consensuelle d’un mode de vie petit-bourgeois. |