Par Yasmine Jouini 
Durant la première moitié du XX ème siècle, entre les deux guerres, notre pays a connu une activité culturelle et littéraire intense. Peut être l’une des plus riches et des plus enrichissantes de son histoire. Nombre des nouvelles, poèmes, pièces de théâtre, chansons et autres diversités culturelles, continuent, aujourd’hui encore, à nous enchanter et à être enseignées en tant que patrimoine littéraire de la Tunisie du début du XX ème siècle.
Les artistes, humoristes, chanteurs, écrivains et journalistes de l’époque se retrouvaient dans des cafés littéraires pour s’adonner à des discussions sans fin sur l’actualité, la littérature et la société tunisienne. Lors de ces soirées, devant un thé à la menthe, un café turc ou un narguilé, tout était sujet à discussion et à réflexion, que ce soit les ouvrages littéraires, les discours politiques, les écrits sacrés, ou encore les articles de presses et les faits divers. Les échanges entre les habitués de ces cafés étaient tellement riches et spontanés, qu’une nouvelle, une pièce de théâtre ou une chanson pouvaient naître le temps d’une soirée.

Nul ne se doutait à l’époque, qu’environ un siècle plus tard, leurs productions constitueraient des classiques de la culture tunisienne. L’un de ces premiers cafés fut celui de «taht ad’darbouz» «مقهى تحت الدربوز»(«sous la rampe»),qui se trouvait devant le ministère de la Défense, à Bab M’nara.Au-delà du nom qui lui a valu sa notoriété, «le café de la banque nue» (« مقهى البانكة العريانة») a vu de grands noms se côtoyer, citons entre autres Mohamed Larbi Kabadi, Béchir Fourti, Mohamed Marzouki, Hédi Laabidi, Abdelmejid Ben Jeddou, Ahmed Kheiredine ou Said Khalsi et Taieb Bessais…Peu après, est apparu le fameux «café des débauchés» (« نادي المجانين »), tenu par Khali Ali Ben Slama (tout le monde l’appelait ainsi).L’illustre café «taht assour» «مقهى تحت السور» (certains l’écrivent«« تحت الصور بالصاد), situé à Bab Souika, non loin du palais de justice de Tunis, devait quand à lui son nom à son emplacement sous la muraille interne qui entourait la Médina de Tunis. Les fidèles de ce lieu n’étaient pas moins que le grand nouvelliste tunisien Ali Douaagi, Abderazzak Karabaka, Mohamed Laribi, Ali Jendoubi, Hedi Laabidi… Ce qui unissait «أصحاب الغلبة» («Les compagnons de galère»), surnom qu’ils s’étaient eux même donné, c’était «la pauvreté de leurs bourses et la richesse de leurs idées»[1], leur vision du monde, la générosité de leurs cœurs, leur liberté de penser et leur refus de se «confiner dans la fatalité et la banalité».De nos jours encore, lorsque l’on évoque les cafés littéraires d’entre les deux guerres, le café Taht Assour est sans aucun doute le plus cité.Le biographe Habib Ben Fdhila[2], dans son livre sur Larbi Kabadi et l’analyse de son œuvre, affirme qu’une sorte de concurrence s’était établie entre les réguliers de ces deux lieux de profusion de la culture. Cette concurrence avait atteint un point tel, que Rchid Dhaouadi[3], autre biographe de la vie des cafés, avance que Mohamed Fadhel Ben Achour a expressément omis de citer dans son livre «الحركة الفكرية والأدبية بتونس» («Le mouvement culturel et littéraire en Tunisie») le café Taht assour en tant que mouvement littéraire ayant contribué à la vie culturelle de l’époque, et ce en raison de sa sympathie et des relations personnelles qu’il entretenait avec Mohamed Larbi Kabadi, «guide du mouvement» du café Taht ad’darbouz.Le café «ad’diwan» («مقهى الديوان») est un autre lieu de rencontres qui se trouvait entre l’ancienne maison du poète et les écoles des étudiants de la mosquée Ezzitouna. Cet autre lieu culte accueillait des noms aussi prestigi eux que Ali Jendoubi, Ahmed, Kheireddine, Mustapha Khrief, Lakhdar Sayhi, Hedi Hammou, Abdelhamid Mnif, Abdelaziz Fakhet, Mohamed Marzouki.Le «café de la maison dorée» (مقهى البيت الذهبي») de la rue de Hollande et le café des kachechines (مقهى القشاشين») non loin de la mosquée Ezzitouna méritent également d’être cités. Les scientifiques et les érudits de l’époque, tels que Mohamed Chedli Khaznadar, Bechir El Fourti, Mokhtar Louzir, Abdelhamid Mnif, Mohamed Laaroussi El Metoui, Mohamed Mohamed El Hliwi (…) y passaient des soirées bien animées. Tahar Haddad était également un adepte de ces lieux d’échanges culturels et de résistance contre l’occupant. Outre leurs contributions dans le domaine culturel, ces cafés littéraires ont été la scène de l’organisation de la résistance et le lieu d’exression du sentiment nationaliste. Ces hommes de lettres et de sciences ont su remonter le moral d’un peuple affaibli par l’oppression de l’occupant. De ces cafés partait l’appel aux réformes et à la préservation de la culture tunisienne, à la diffusion et à la maîtrise des subtilités de la langue arabe, à la mise en valeur du dialecte tunisien (ils ont réussi à faire de ce dialecte une langue et une expression de l’art). De ces cafés s’est développé le théâtre tunisien, la poésie tunisienne, la chanson, la peinture et autres manières de s’exprimer et de rendre hommage à cette nation tunisienne. Cet héritage et cette «fierté d’être tunisien» insufflés par ces héros, et qui sont aujourd’hui peu à peu délaissés… NDLR: Certains passages de cet article sont inspirés de textes écrits en arabe. Aussi, certains noms peuvent être mal orthographiés ou traduit différemment selon le contexte. Sources:Assabah du 19 Janvier 1961Assabah du 14 Novembre 2006Pour aller plus loin, consulter le livre du Pr. Rchid Dhaouadi sur les habitués du café Taht Assour, et celui deMohamed Fadhel Ben Achour «الحركة الفكرية والأدبية بتونس»(«Le mouvement culturel et littéraire en Tunisie») [1]Pr. Rchid Dhaouadi in Mounir Batikh in assabeh du 14 Novembre 2006. [2 ]Pr. Mounir Batikh in assabeh du 14 Novembre 2006. |